Kyodaina éclata de rire, ce qui surpris un peu Cross, qui ne s'attendait pas du tout à ça.

- Et de quoi t'excuserais-tu ? Dit-elle, d'un ton amusé.

Tandis que Cross allait répondre, la jeune femme observa le cygne. Un instant distrait, Marian se demanda ce qu'elle pouvait penser. En regardant le cygne, le vagabond se dit qu'il ressemblait à la souveraine, plein de grâce et d'élégance, comme elle. Ses pensées revinrent ensuite vers la question posée par la Reine, à savoir, de quoi s'excusait-il.

- Simple. Si j'avais accepté d'être Roi, tu n'aurais pas eu à porter cette charge de souveraine, comme ça du jour au lendemain. Répondit-il sans détourner les yeux du cygne.

Il se tut un instant, profitant du calme qui inondait la clairière où le lac s'étendait. Quel endroit merveilleux, c'est un peu le paradis sur terre ici. Loin de tout. Marian se dit que c'était le lieu parfait, parfait pour rencontrer une souveraine. À cette pensée, il sourit en coin, se traitant de stupide, d'idiot, et d'un tas d'autres mots du même genre.

- Peut-être aurais-tu préféré rester avec ta mère que d'être Reine. Ajouta-t-il, se tournant vers Kyodaina.

Après coup, il eu le pressentiment qu'il n'avait pas dit ce qu'il fallait. Non, il savait qu'il n'aurait pas dû évoquer la mère de la jeune femme.

Le pressentiment de Marian se révéla exact. À la vue des mains féminines toutes tremblantes, le vagabond se maudit. Puis, Kyodaina agrippa le tissu de sa robe pour arrêter de trembler. Apparemment, le souvenir de sa mère lui était douloureux. Cross se mordit la lèvre inférieure *Et merde...* Mais la reine se ressaisit et se tourna vers Marian. Ce dernier fut surpris de voir autant de choses dans les yeux sarcelles de la demoiselle alors que, visiblement, elle essayait tant bien que mal de paraître normale. Le regard de Kyodaina était empli de tristesse, mélangé à de la nostalgie, et un tas d'autres émotions graves.

- Je pense que je préfère être reine. Tu sais, ma mère est morte. De chagrin. Après avoir entendu que Pen allait se marier.

Marian s'était attendu à cette réponse. Par contre, il n'aurait pas imaginé que le chagrin soit la cause du décès de la mère de Kyodaina, surtout de chagrin parce que Pen s'était marié. Il se souvint alors de cette époque là, qui remonte quelques années déjà. Lui, il était déjà sur les routes. Quand il apprit que son oncle allait se marier, il avait tout de suite pensé à la petite fille, ainsi qu'à sa mère, à présent seules.

- Excuse-moi... dit-il de façon presque inaudible.

Tout en scrutant le visage de la jeune fille, les yeux de Marian prenaient une couleur vert de jade. Ce qui signifie, en gros, que le vagabond ressent de la compassion, ou de la tristesse parfois. Il sourit puis, dans un élan que lui-même n'avait pas prévu, il prit Kyodaina dans ses bras et la serra contre lui, bien que son bras le fasse un peu souffrir.

- N'essaie pas de tout garder en toi, dit-il avec une voix réconfortante. Si tu veux pleurer, vas-y, ne t'en fais pas.

- N'essaie pas de tout garder en toi, dit-il avec une voix réconfortante. Si tu veux pleurer, vas-y, ne t'en fais pas.

A peine Cross eût-il parlé que la jeune souveraine versa ses premières larmes. Beaucoup d'autres suivirent. Après être trop longtemps restées enfouies, ces perles salées dévalaient le long des joues de Kyodaina. Marian ne put s'empêcher de sourire, mais d'un sourire doux, rassurant. Il resserra un peu plus son étreinte, et il crut entendre un rire entre deux sanglots. Il ne doutât pas qu'il venait de Kyodaina, mais cela ne le surpris pas. Il commençait à être habitué.
Puis, après s'être laissée aller, Kyodaina se retira de l'étreint de Cross et s'assit en face de lui. Ce dernier ne put s'empêcher d'essuyer une larme qui dévalait encore le visage de la demoiselle. Elle remit un peu d'ordre dans ses cheveux et, du dos de la main, essuya ses larmes.

- Merci... Dit-elle dans un souffle, a moitié étranglé par un petit sanglot.

Cross, dont le sourire ne s'était jamais éteint, ne pût que la regarder, de son regard vert impérial. Il la trouvait attendrissante, cette petite Reine. Et, malgré son caractère franc, elle savait se montrer sensible. Ne rien retenir en soi. Cross, qui lui avait prodigué ce conseil, ne se sentait pas le courage de l'appliquer. Ce temps-là était révolu et, pour lui, pleurer ne servirait à rien.
Il remarqua alors que la jeune fille s'apprêtait à parler, un sourire doux accroché à son visage, ce qui ne le rendait que plus angélique.

- Je crois que je dois te rendre la pareille. Dit-elle avec un petit sourire doux. Si ça te fais du bien de parler, n'hésite pas.

Marian fut un instant déconcerté. Ne sachant pas quoi répondre, il se contenta de sourire, tandis que ses yeux changeaient pour la énième fois de couleur. Ils étaient désormais vert malachite.

- Ne t'en fais pas pour moi. Dit-il doucement.

Mais à peine eût-il prononcé ses mots qu'une larme coula de son oeil gauche, le prenant au dépourvu. Une autre réussie à dévaler sa joue droite, celle cachée pas le masque. Il essuya la larme qui glissait sur sa joue gauche, aucune autre ne la suivie.

- Tss... Et bien... Qui l'aurait cru... Ajouta Cross avec un petit sourire en coin, moqueur, mais seulement envers lui-même

Il enleva ensuite son masque, dévoilant par la même occasion sa cicatrice, pour essuyer l'unique perle salée sur sa joue droite.

Aucune autre larme ne coula. Cross soupira, apparemment, les enseignements de son père étaient bien rentrés. Ne jamais pleurer, voilà ce que le roi défunt lui répétait lorsqu'il avait perdu sa mère.

- Tu vis dans la capitale ? Demanda Kyodaina.

Elle avait sans doute envie de changer de sujet, qui pourrait lui en vouloir ? Le passé était le passé et Cross le savait bien. Il regarda le lac, sans remettre son masque. Il déposa ce dernier à côté de lui, dans l'herbe. Il n'avait pas envie de remettre, et il profita de cet instant pour apprécier la sensation du léger vent qui s'était levé sur son visage.

- Non. Je suis un vagabond, comme je te l'ai dit, et je vais où je veux. Répondit-il. Je n'ai d'attache nulle part donc je passe mon temps à voyager un peu partout. Bien sûr, il m'arrive de revenir à la Citadelle, mais jamais très longtemps. Sauf cas exceptionnel, je ne reste pas plus d'une, voir deux semaines au même endroit.

Cross se surprenait encore. Ce n'était pas dans ses habitudes de parler autant sur lui. Mais bon, c'était Kyodaina qui était en face, donc il se laissait un peu aller. Il sourit en se demandant comment la jeune Reine s'était habituée au palais. Dans sa franchise habituelle, Marian demanda à son tour :

- Mais dis-moi, ça n'a pas était trop difficile de t'habituer au palais lorsque tu es arrivée ?

Cross se demanda aussi si, par hasard, Kyodaina était déjà entrée dans son ancienne chambre. Il savait que cette dernière était quasiment intacte, et, accessoirement, fermée à clef. Sa chambre n'avait pas changée pour la simple et bonne raison qu'elle n'avait aucune raison de changer, il y avait tellement de chambres dans ce palais qu'une de plus ou de moins ne ferait pas de différence, bien que ce soit la chambre des princes et princesses. De ce fait, elle était inoccupée car il n'y avait aucun héritier pour le moment. Cependant, quand Kyodaina aurait un enfant, ce dernier aurait alors l'ancienne chambre de Cross.
Il sourit à cette pensée, Kyodaina, un enfant. Étrange. Pourtant, étant la Reine, elle sera bien obligée de se marier un jour et de donner un héritier. Dans le flot de ses pensées, Marian se demanda si la jeune souveraine y avait déjà songé. Peut-être, peut-être pas.

Cross observait toujours Kyodaina. Par moments, il croyait voir son oncle, Pen. Elle lui ressemblait beaucoup. Mais seulement physiquement. Mentalement, elle avait tout d'une vraie Reine, gentille, généreuse, mais avec du caractère, très utile pour mener les troupes et se faire obéir.

- Un peu oui. Disons que passer d'une chambre de bonne qui sent le moisit à un immense palais décoré luxueusement, ça fait un changement non négligeable. Répondit-elle tout simplement.

Marian sourit, il aima la simplicité et la franchise, ce dont faisait justement preuve Kyodaina. Il regarda un instant le lac et senti de nouveau le vent s'emmêler dans ses cheveux rouges, les faisant virevolter. Cross passa une main dans ses cheveux pour les remettre en ordre un minimum. Il leva ensuite les yeux pour observer le Soleil. L'astre avait continué sa course, doucement. Il devait être pas loin de 8h30, voir 9h... Que le temps était passé vite. Il s'allongea dans l'herbe en soupirant. Il ferma les yeux.

- C'est vrai, vu comme ça. Mais est-ce que tout ce luxe ne t'oppresse pas, à force ?

Riche de sa propre expérience, Cross avait déjà ressenti cette espèce d'étouffement. C'était une des nombreuses raisons qui l'avaient poussé au départ. Devenir Roi, très peu pour lui. Et être en plus entouré de tous ces nobles plus hypocrites les uns que les autres. Cross ne supportait pas ces hommes cupides et ces femmes aux langues de vipères. En y repensant, il eu un petit tressaillement au niveau des paupières, qu'il gardait fermées.

- Et les nobles ? Tu penses quoi d'eux ? Demanda-t-il franchement.

Kyodaina sourit. Cross attendait sa réponse en la regardant, ses bras repliés sous sa tête, lui servant de coussin. Quand la souveraine prit la parole, son ton était neutre, franc.

- Les nobles sont tous différents les uns des autres. Il est vrai qu'il y en a un nombre impossible d'avares, de mauvaises langues, de froid et j'en passe. Mais il y a aussi des gens tout à fait respectables. Bien trop peu, je te l'accorde. Puis je suppose que les supporter malgré leur façon d'être fait partit de mon devoir de reine. Dit-elle d'un ton neutre, celui qu'elle prenait pour expliquer son point de vue.

Cross referma les yeux, les quelques nobles respectables qu'il avait croisés au palais à son époque étaient très peu nombreux. Pour survivre à la cour, il fallait un minimum d'hypocrisie. Mais bon, il laissait volontiers ces bassesses aux autres. Il se mit sur séant et regarda Kyodaina.

- Et bien ma chère, je pense qu'il est temps que je parte. Lança-t-il en prenant son masque.

Le temps était passé vite et, à regrets, il se leva. Honnêtement, il n'avait pas envie de partir. La compagnie de Kyodaina lui était agréable et cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien. Une fois debout, il épousseta un peu son manteau noir avant de remettre son masque. Il tendit ensuite une main avenante à la jeune souveraine, pour l'aider à se lever. Lorsqu'elle fut face à lui, il garda sa main dans la sienne. Il mit sa main libre dans son dos (le sien, pas celui de Kyodaina), se pencha en avant et fit un baise-main solennelle.

- Votre Altesse. Ce furent un honneur et réel plaisir de vous rencontrer et d'avoir pu converser avec vous. Cependant, et bien que cette perspective ne me déchire le coeur, il est temps de nous séparer. Au plaisir de vous revoir, ma Reine.

En se relevant, il lâcha la main de la souveraine et il gratifia cette dernière d'un magnifique sourire, comme il n'en fait que rarement. Il se dit que, finalement, il n'avait rien perdu du langage et des us et coutumes des nobles. Il rigola un peu, mais n'en expliqua pas la raison à la jeune Reine. Reprenant un peu son sérieux, il jeta un coup d'oeil en direction du bois avant de revenir sur Kyodaina.

- Un de ces jours, j'irai sûrement à la capitale. J'en profiterai pour passer au palais, ajouta-t-il avec un clin d'oeil et un sourire charmant.

Il ébouriffa un peu les cheveux de Kyodaina sur le haut de la tête, en riant doucement.

- Porte-toi bien petite Reine, et puisse ton devoir de souveraine ne pas te changer. Dit-il, toujours en souriant.

Il commença à s'éloigner puis se retourna et fit un signe de la main, un sourire franc toujours et encore accroché à son visage. Il s'en étonna d'ailleurs mais n'essaya pas d'effacer ce sourire. De toute façon, il savait qu'il ne pouvait s'en empêcher. Cela faisait longtemps qu'il n'avait ressenti ça, il était tout simplement heureux.

- A bientôt ! Lança-t-il à Kyodaina.

Il se remit en marche en direction du bois, puis, une fois entre les arbres, il continua tout droit. Il ne savait pas où il allait, mais il s'en fichait. Il marchait à un rythme tranquille, repensant à cette rencontre. Cette dernière lui avait mis du baume au coeur. Il n'aurait jamais imaginé que Kyodaina était si gentille. Ce qui ne faisait que confirmer le proverbe ; les apparences sont parfois trompeuses.